CEPIAG - Cybernétique Epistémologie Psychologie Intelligence Artificielle Génétiques

Hommage à Guy Cellérier

Guy Cellérier Guy est un maître et un ami. Il fait partie de ces personnes avec lesquelles la présence et le dialogue se poursuivent au-delà de leur absence. Il habitait littéralement l’œuvre de Piaget, mais le Piaget qu’il habitait n’était pas un refuge, un “logement de fonction”, mais une ouverture sur le monde. Co-directeur du Centre d’Épistémologie de Genève, il a pleinement rempli la mission que lui avait donné “le patron”. Il s’agissait de relier ses travaux sur la psychogenèse des enfants avec les avancées produites par le modèle cybernétique à la fin des années 60. La thèse de Guy Cellérier parue dans “Cybernétique et Épistémologie” aux PUF en 1968 a montré qu’il y avait grand profit à se pencher sur l’épistémologie des machines cybernétiques. Il y avait même là une méthode de contrôle expérimentale fournissant le complément indispensable de l’épistémologie génétique pratiquée sur le vivant et son développement spontané. En réalisant ce lien avec le vivant, Guy opérait une avancée épistémologique fondamentale qui me paraît actuelle et prophétique dans les débats autour de l’Intelligence Artificielle et les Sciences Cognitives, leur rôle et leurs limites. Il sortait le cybernétique d’une vision mécaniciste réservée aux ingénieurs, incompatible dans cette visée, avec les systèmes vivants ouverts à l’information et à l’évolution. Il revient en effet à Guy le mérite d’avoir donné une vision fonctionnaliste et cybernétique de l’épistémologie piagétienne. Dans une conception qu’on pourrait appeler néo-piagétienne, et qu’il a qualifié de pluriconstructiviste, les stades de Piaget fonctionnent par vagues successives emboîtées les unes dans les autres. Ils sont ainsi dirigés, plus précisément gouvernés par différents systèmes de valeurs (“value governed system” comme Guy se plaisait à dire), éthologiques et praxiques au début puis esthétiques, aléthiques et éthiques au fur et à mesure du développement.

Cette conception se précise dans son originalité et dans son pouvoir heuristique dans l’élargissement et l’enrichissement produit par Guy, en la reliant à la “théorie des trois cerveaux” de Papez et Mac Lean, que Marvin Minsky, dans sa “Society Theory of Mind” a quelque peu reconfigurée dans sa théorie du Cerveau A et du Cerveau B. Ces trois cerveaux, le reptilien, le mammifère et le simien constituent la complexité tri-unitaire de l’architecture psychologique du sujet humain, isomorphe à la succession et au fonctionnement des stades relevés par Piaget. Ces trois systèmes se sont développés et réorganisés progressivement au cours de la phylogenèse. C’est ce qui explique pourquoi ils ne fonctionnent pas selon une hiérarchie verticale où le dernier résultat de cette co-évolution (le niveau simien ou représentatif) utiliserait régulièrement à son service les deux précédents (le niveau reptilien et mammifère ou l’habituel et l’instinctif). Chacun de ces systèmes doit pouvoir se subordonner les autres selon la fonction à emplir. Chacun peut ainsi remplir les deux rôles de supérieur et de subordonné. La relation qui unit ces systèmes est donc celle de l’hétérarchie (terme emprunté à W. Mac Culloch), les diverses organisations qui prennent forme n’étant jamais que provisoires et fluctuantes. Guy Cellérier dans cette reconceptualisation a produit là un travail novateur qui ouvrait l’œuvre de son maître sur la clinique et notamment la clinique actuelle des problèmes appelés “psychosomatiques” ainsi que toute la clinique du traumatisme, en fait toute situation où le sujet peut se sentir menacé dans sa survie et son intégrité tant somatique que psychique. Dans ces problématiques ce sont les mécanismes liés aux cerveaux reptiliens et mammifères, le sensorimoteur chez Piaget, qui sont chargés d’assurer la sécurité et la survie du sujet. Ils vont donc subordonner activement le système représentatif (simien ou hominien) à leur fonctionnement. En faisant cette ouverture Guy révélait une sorte de figure cachée chez le maître genevois : son intérêt pour la clinique et en particulier tout ce qui touchait au domaine de la thérapie...

Je ne voudrais pas que mon intérêt et mon engagement de thérapeute d’inspiration systémique, limitent l’étendue des domaines dans lesquels Guy a su montrer sa grande pertinence. Il faudrait ainsi citer le juridique (c’est autour de Kelsen et de la norme fondamentale dans le domaine du droit que Guy a rencontré au départ Piaget), la biologie, l’éthologie, les mathématiques, la logique... Il s’envolait d’un domaine à l‘autre et ceux qui voulaient le suivre auraient voulu que “ses ailes de géant” lui permettent de marcher et de reprendre souffle. Pour lui, l’intelligence c’était ce qui permettait de faire des liens et c’est ce qu’il faisait en se confrontant tant au domaine des sciences humaines que des sciences dites exactes. C’était un homme aux semelles de vent et tous ceux qu’il passionnait et voulaient le suivre se sentaient un peu “Sancho Pança” quelque peu débalancés devant les chevauchées infatigables et passionnées de ce très cher Don Quichotte. Un Don Quichotte au sens où nous le décrit William Marx dans “Un été avec Don Quichotte” : “Le cerveau de Don Quichotte nous découvre les rouages mêmes de la création ; il nous fait pénétrer au cœur des mécanismes de la fabulation, mise en branle de manière opiniâtre par un besoin de sens jamais rassasié, toujours à combler. Inventer un univers, créer à profusion, en toute circonstance des êtres et des mondes...” Je crois que Guy ne portera pas ombrage de ce rapprochement car il disait lui-même que toute théorie était à la base une fiction !

Olivier Real del Sarte - Lau Xori 24.11.24







Site compagnon de

Fondation Jean Piaget